Sequantis dans la presse – intervention d’Olivier Durquety dans Option Finance (16 novembre 2018, Sandra Sebag)
Après plus d’un an de combat à son encontre, le décret qui régit les régimes de retraite des indépendants, des professions libérales et des exploitants agricoles devrait malgré tout entrer en application au 1er janvier prochain. Des changements majeurs attendent les caisses de retraite, concernant leur gouvernance, leur organisation, mais aussi et surtout leur allocation d’actifs. De quoi peser sur leur capacité à prendre du risque.
Annoncée comme un véritable «big bang», la réforme des régimes de retraites constitue le nouveau cheval de bataille du gouvernement. Si les changements annoncés, la création d’un régime universel et la mise en place d’un système à points, sont majeurs, ils ne sont pas les seuls à bouleverser le mode de calcul des cotisations et des pensions ainsi que la gestion des actifs mis en réserve pour payer les pensions. Certains régimes font déjà l’objet de réformes d’ampleur et parmi eux ceux des indépendants, des professions libérales et des exploitants agricoles. L’activité des caisses autonomes régissant ces professions a fait l’objet d’une réforme formalisée à travers décret (n° 2017-887) publié le 9 mai 2017. Cette réforme, les caisses de retraite concernées n’en voulaient pas. Elles ont ainsi déposé un recours auprès du Conseil d’Etat dont le résultat final est attendu d’ici la fin de l’année (voir encadré). En attendant, le 5 novembre dernier, le rapporteur public a rendu son avis, un avis important car il pourrait orienter la décision finale de cette institution. Celui-ci ne remet pas en cause le texte, qui pourrait donc s’appliquer au 1er janvier 2019. «Le rapporteur public a seulement proposé l’annulation du paragraphe portant sur les délais de mise en conformité des caisses de retraite «, indique Lionel Tangy-Malca, président d’Ycap Asset Management.
De même, les rencontres mises en place depuis la publication du décret entre la Place de Paris et le ministère des Finances n’ont pas fait évoluer notablement le texte. «Des échanges ont eu lieu après la publication du décret entre les caisses de retraite, les associations professionnelles et Bercy, relate Jean-Claude Guimiot, directeur gestion institutionnelle chez Amilton Asset Management et ancien investisseur institutionnel. Il y a eu certes des adaptations, mais elles ne règlent pas tous les principaux points de discorde et n’ont pas fait l’objet d’une publication à ce jour.»
Une nouvelle gouvernance
Par conséquent, à un peu plus d’un mois de l’entrée en vigueur du texte – même si des délais supplémentaires en termes de mises en conformité pourraient être consentis – les acteurs doivent se préparer à de nombreux changements. Parmi ceux-ci figure une plus grande professionnalisation des caisses de retraite. Le décret formalise en effet un certain nombre d’obligations en matière de transparence. «Les caisses de retraite devront disposer d’une commission financière chargée de suivre l’ensemble des placements, relève Olivier Durquety, associé chez Sequantis. Le texte du décret intègre également une obligation de formation des administrateurs à la gestion financière ainsi que la mise en place de façon formalisée d’une politique de pilotage comprenant notamment l’élaboration d’un rapport actuariel avec des projections à 40 ans. Il instaure aussi l’obligation d’un contrôle interne et de mécanismes de prévention des conflits d’intérêts.»
Des évolutions qui s’inspirent de la réglementation applicable notamment aux compagnies d’assurance. «Les caisses de retraite devront faire preuve de transparence sur leurs investissements, disposer d’instances et d’outils pour assurer le suivi de leurs placements à travers notamment un reporting ligne à ligne des valeurs présentes en portefeuilles, souligne Olivier Duquerty. Elles ne
peuvent échapper à ce mouvement général qui, avant elles, a concerné les compagnies d’assurance, les mutuelles et les institutions de prévoyance dans le cadre de la directive Solvabilité 2.»
Des changements d’organisation qui ne sont pas contestés par les caisses de retraite, même s’ils supposent des investissements pour se mettre en conformité. La raison principale de leur mobilisation réside ailleurs : elle porte sur les nouvelles contraintes imposées par le législateur quant à la gestion de ces régimes de retraite. «Le législateur souhaite que les caisses de retraite mettent en place une gestion actif/passif qui prenne en compte l’existence éventuelle d’un déficit technique et qu’elles parviennent sur le long terme à équilibrer leur régime», détaille Lionel Tangy-Malca. De leur côté, les caisses insistent sur leur autonomie et sur leur capacité à faire varier les cotisations pour équilibrer leur régime. Elles souhaitent ainsi pouvoir conserver le pilotage de leur régime ainsi que leur allocation.
Une demande qui n’aurait pas été entendue. «Le rapporteur public a validé le fait que les régimes de retraite doivent mettre en place une gestion actif/passif», poursuit Lionel Tangy-Malca. Cette disposition suppose que les régimes qui sont actuellement en déficit technique réduisent leurs investissements dans les actifs à risque et augmentent la part des investissements liquides.
«Pour couvrir les déficits techniques, les caisses devraient vendre des actifs rémunérateurs et probablement augmenter les cotisations et/ou baisser les prestations», confirme Olivier Durquety, associé chez Sequantis.
C’est notamment le cas à la Caisse autonome des retraites des médecins (CARMF) alors que celle-ci a mis en place de longue date des réserves – qui atteignent actuellement le montant de 7,5 milliards d’euros – dont la vocation est justement de couvrir les déficits techniques. «La CARMF a constitué des réserves au titre de son régime complémentaire qui seront consommées par les déficits techniques jusqu’en 2035, puis ces réserves croîtront sous l’effet de la hausse relativement récente du numerus clausus», indique Michel Manteau, responsable financier à la CARMF.
En effet, à compter de 2035, la démographie des médecins devrait redevenir favorable et permettre de dégager des excédents (entre les cotisations et les prestations) qui seront mis en réserve. En attendant, la Caisse estime que la mobilisation des réserves constituées est suffisante pour couvrir les déficits techniques. Et cela d’autant plus que pour optimiser le rendement tiré de ces réserves, la CARMF a mis en place une allocation reposant sur la recherche de rendements élevés. «Notre allocation se répartit entre 45 % d’actions, 20 % d’immobilier et 35 % d’obligations afin de battre sur le long terme l’inflation et de générer du rendement», poursuit Michel Manteau.
Une allocation qui n’est pourtant pas en conformité avec le texte du décret. «Si celui-ci entre en application, nous devrions vendre le tiers de nos positions en actions et en contrepartie acquérir des obligations faiblement rémunératrices, déplore Michel Manteau. Nous estimons le préjudice à 1,8 milliard qui correspond au rendement perdu. Nous allons également devoir augmenter de l’ordre de 6 % nos cotisations.»
Le cas de la CARMF n’est pas isolé, même s’il est difficile d’obtenir des chiffrages précis dans ce domaine. Les cessions d’actifs pourraient ainsi devenir régulières à partir de l’an prochain. Face au risque de déstabilisation des marchés et des portefeuilles, les acteurs souhaitent prendre leur temps pour se mettre en conformité. «Nous ne vendrons pas nos actifs à n’importe quelles conditions», affirme par exemple Michel Manteau.
De nouveaux véhicules d’investissement
Mais ce n’est pas tout : un autre changement de taille en matière de gestion d’actifs attend l’ensemble des caisses : celles-ci devront utiliser de nouveaux véhicules d’investissement appelés «fonds mutualisés» qui mobilisent plusieurs acteurs de la retraite. Cette organisation apparaît en effet moins risquée pour le législateur que des fonds dédiés à un seul organisme décideur.
Ces derniers pourront être de deux types, à savoir des fonds «mutualisés» dédiés ou ouverts. Si des précisions sont encore attendues sur le fonctionnement précis de ces fonds, une polémique entoure déjà le lancement des fonds dédiés. Ces derniers devraient en effet regrouper deux caisses de retraite relevant du décret, plus un investisseur tiers qui devra entrer à hauteur de 15 % des encours du fonds.
Pour les sociétés de gestion indépendantes, ces fonds risquent d’avantager les grandes sociétés de gestion appartenant à des groupes. «La sélection d’une société de gestion lors d’un appel d’offres mené par une ou deux caisses de retraite portera davantage sur la capacité d’un gérant à faire venir un investisseur tiers, comme une banque ou une compagnie, plutôt que sur la performance de la société de gestion, souligne Lionel Tangy-Malca. Les sociétés de gestion filiales de groupe seront donc avantagées par rapport aux sociétés de gestion indépendantes car elles pourront mobiliser des filiales de leur groupe ou leur maison-mère.»
Des véhicules complexes à monter
Un point de vue largement partagé. «La structure juridique préconisée, à savoir le fonds “mutualisé”, sera difficile à mettre en place par les sociétés de gestion comme par les caisses de retraite, en raison notamment d’une organisation imposée complexe et parfois inaccessible pour certains acteurs, notamment ceux de petite taille», souligne Olivier Durquety.
Par conséquent, pour réduire les contraintes liées à la création de ces nouveaux fonds, certaines caisses de retraite cherchent déjà à anticiper les changements à venir. «Le décret précise que les OPCVM et les FIA ouverts avant l’entrée en vigueur du décret et qui respectent les critères de mutualisation à la date d’entrée en vigueur seront considérés comme étant mutualisés, relève Jean Rousselot – responsable développement expertises institutionnelles & relations consultants – France chez Amundi.
De nombreuses caisses de retraite se sont mobilisées et travaillent ainsi avec des sociétés de gestion pour lancer des produits investis en actions et/ou dans les actifs réels ou pour transformer d’actuels fonds dédiés souscrits par une seule caisse en un fonds mutualisé car après le 1er janvier 2019 le processus de création de fonds sera plus formel.» Une complexité qui s’ajoute aux contraintes en matière d’allocation d’actifs qui – paradoxalement – devraient conduire les caisses de retraite à réduire leurs investissements de long terme.
@sebagsandra1 : Les caisses devront utiliser de nouveaux véhicules d’investissement appelés «fonds mutualisés», qui mobiliseront plusieurs acteurs de la retraite.
Le Conseil d’Etat en arbitre final
- Pour s’opposer à cette réforme, les principales caisses concernées (CNAVPL, CARMF, CAVP, CARPV, CRN, CARCDSF, CAVAMAC, CRPN) ont déposé un recours devant le Conseil d’Etat le 10 juillet 2017. Elles ont été rejointes par des sociétés de gestion indépendantes dont Ycap Asset Management.
- Une audience en référé au Conseil d’Etat sur la suspension du décret a bien eu lieu le 28 août 2017 et a été rejetée le 6 septembre 2017, le jugement sur le fond est attendu pour la fin du second semestre 2018. L’avis du rapporteur public rendu le 5 novembre donnant déjà un éclairage important sur l’issue du débat.
- Une réforme qui s’inscrit dans une transformation plus générale des régimes de retraite
- Le décret qui concerne les caisses des indépendants, des professions libérales et des exploitants agricoles s’inscrit dans une tendance de fond mise en oeuvre depuis plusieurs années pour transformer les régimes de retraite en France. «La précédente législature a instauré une harmonisation des régimes de retraite de base, en parallèle l’Agirc et l’Arrco vont fusionner ainsi que le RSI (régime des indépendants) avec la CNAV à partir du 1er janvier 2020, détaille Rolando Quintas, senior manager chez Pericles Consulting. Actuellement, le gouvernement poursuit cette démarche et projette de mettre en place un régime universel par points qui permettra de simplifier les régimes de retraite.»
- Une réforme qui commence à inquiéter certains acteurs de la gestion d’actifs. «Le régime universel et le système par points pourraient s’appliquer à l’ensemble des individus et aller jusqu’à un niveau de revenus égal à trois plafonds de sécurité sociale, relate Jean-Claude Guimiot, directeur gestion institutionnelle chez Amilton Asset Management. Les régimes par répartition seront donc amenés à élargir leur base de personnes couvertes et donc de prestations.»
- Cette réforme pourrait conduire à une augmentation des cotisations pour les indépendants et les professions libérales. «Les cotisations prélevées porteront sur les revenus jusqu’à concurrence de trois plafonds de sécurité sociale, réduisant d’autant les possibilités de mettre en place des régimes par capitalisation», poursuit Jean-Claude Guimiot. Plusieurs caisses de retraite, notamment celles concernées par le décret, ont commencé à prendre la parole sur le sujet et réclament que les cotisations ne soient calculées que sur un seul plafond.
- A contrario, les cadres avec des revenus élevés pourraient être avantagés par cette réforme. «Les cadres dirigeants et plus généralement les cadres disposant de revenus supérieurs à 120 000 euros par an pourraient ne plus payer de cotisations au-delà de trois plafonds alors que jusqu’à présent les cotisations s’appliquent jusqu’à huit plafonds, indique Olivier de Fontenay, associé fondateur d’Eres. Les premiers chiffrages indiquent que 300 000 personnes pourraient être concernées. Elles bénéficieront d’allégements de cotisations qu’elles pourraient utiliser dans des systèmes par capitalisation.»
- En parallèle à la réforme des retraites et pour compléter les régimes obligatoires, le gouvernement cherche en effet à développer les systèmes par capitalisation à travers la loi Pacte. «Celle-ci favorise les versements facultatifs dans les produits d’épargne retraite ainsi que les sorties en rente en leur offrant un traitement fiscal plus avantageux», indique Rolando Quintas. Des transformations à même de bouleverser radicalement le paysage de la retraite en France.
Sandra Sebag