(article de Nicolas Fournier paru dans l’Argus de l’Assurance, 13/12/2018)
L’application des nouvelles contraintes réglementaires génère la production d’une quantité importante de données. Mais cette masse d’informations s’avère largement sous-exploitée par les acteurs de l’assurance. Une analyse de Nicolas Fournier, cofondateur et dirigeant de la regtech Sequantis LT.
Dans un contexte réglementaire nécessitant de plus en plus de moyens techniques et humains de la part des producteurs de produits financiers – tels que des sociétés de gestion de portefeuilles, des compagnies d’assurance, ainsi que des conseillers en gestion de patrimoine et des banques privées – nous ne constatons pas à ce jour l’effet bénéfique, sur leur business model, des différentes réglementations telles Solvabilité 2, Priips et Mifid 2. Celles-ci reposant, notamment, sur la transparence des données des fonds d’investissement peuvent être mises à profit pour développer de nouveaux services et d’une certaine manière, permettre d’amortir le coût de la mise en conformité, voire même de générer de nouvelles activités.
La directive Solvabilité 2 mesure les fonds propres minimaux dont tout assureur doit disposer pour pouvoir continuer son activité. Le texte implique l’application « d’un choc » sur l’ensemble du périmètre de l’assureur. Les placements financiers subissent alors un vrai « krach » tandis que les sinistres extrêmes sont appliqués au passif. In fine, l’assureur doit prouver qu’il peut « survivre » dans une telle situation. L’ensemble des chocs à appliquer est décrit en détail dans les textes.
Une vision exhaustive
Mais ce qui nous intéresse ici est un « point de détail » de cette réglementation, qui impose de procéder au calcul de l’actif en « transparence ». Si l’assureur détient un OPC (une part de fonds), alors il doit le remplacer par le contenu de celui-ci avant de calculer l’impact des chocs. Il est important de noter que cette « transparisation » s’applique bien à l’ensemble du périmètre, elle inclut donc les unités de compte (UC), ces supports étant proposés aux assurés dans les contrats d’assurance vie. L’assureur dispose alors, sur l’ensemble du périmètre traité, d’une vision exhaustive du contenu des OPC (fonds d’investissement).
Le règlement PRIIPs entre, quant à lui, dans la catégorie dite de la protection des consommateurs. Ce texte demande la remise systématique aux particuliers – souscripteurs de produits financiers – d’une série d’informations sur leurs placements en cours ou à venir. Ces informations, à communiquer sur toutes les options des contrats d’assurance vie, incluent une mesure de risque sur une échelle de 1 à 7, des scénarios de performances futures ainsi que le détail des frais, en « transparence » là aussi. Cela signifie que tous les étages doivent être additionnés : frais de gestion, frais d’entrée, commissions de mouvement… existants dans les produits financiers. Le distributeur et le client disposent alors, sur l’ensemble du périmètre vendu, d’une vision exhaustive du comportement des OPC, ainsi que des frais appliqués.
Mifid 2, ajoute quant à elle, la vérification systématique par les distributeurs de la bonne adéquation des produits vendus avec les « profils de risque » de chaque client. Le distributeur dispose ici de la vision complète des frais ainsi que d’une classification très fine des OPC. La directive Mifid 2, texte dont l’objectif est également de protéger les consommateurs, exige aussi une vision en transparence des frais, ex-ante (avant la vente) et ex-post (chaque année). Il est à noter que les frais ex-ante de Mifid 2 sont identiques aux frais détaillés dans le règlement PRIIPs.
La mise en place de ces différents textes a lourdement impacté la profession, que ce soit en termes de coût nécessaire pour générer les données financières ou bien de moyens techniques et humains nécessaires. Mais nous n’avons jamais constaté à ce jour de réutilisation des données ainsi constituées, ou simplement de réflexion sur une réutilisation potentielle. Dit autrement, les réglementations ne sont pas sorties des services juridiques et de contrôle interne, sauf pour aller vers les régulateurs et les clients, bien évidemment.
Que faire de toutes ces données ?
Dans un monde où les pouvoirs publics souhaitent aller de plus en plus vers une retraite par capitalisation individuelle, nous ne pouvons que faire le parallèle avec les États-Unis où les ménages disposent de compléments de retraite de ce type (401 (k) mais aussi d’outils en ligne sophistiqués qui apportent une vision actif-passif du cycle de vie (placements versus objectifs patrimoniaux comme la retraite, les études des enfants…). Il est également intéressant de constater qu’une vraie réflexion sur ce type d’outils, de services destinés aux clients, se met en place en Europe.
En résumé, nous avons à notre disposition grâce à la nécessaire mise en conformité vis-à-vis des directives Mifid 2, Solvabilité 2 et du règlement PRIIPs, le contenu de tous les OPC nécessaire pour effectuer un calcul de risque « propre » ; le niveau de risque de ces mêmes produits ; une méthode de projection des montants attendus ; une classification très fine de tous les produits et le détail complet des frais. Toutes ces données sont celles qui sont nécessaires à la mise en place d’un bon outil de gestion actif / passif. Et elles sont là, disponibles, mais très largement inexploitées !
Imaginons alors… que chaque client puisse voir la simulation de l’évolution de son portefeuille avant d’effectuer un arbitrage ou une souscription, que cette simulation prenne en compte l’exhaustivité des frais et affiche le montant total prélevé, qu’elle soit accompagnée de la décomposition complète du portefeuille par classe d’actifs, pays, secteurs économiques, notations… et enfin, que chaque client puisse vérifier que l’ensemble fonctionne bien avec les contraintes de « risque » qu’il a définies, ou qui lui ont été affectées en fonction de ses réponses au questionnaire réglementaire (KYC, Know your customer).
Et maintenant, cerise sur le gâteau, le client doit définir toutes ses attentes prévisionnelles, achat immobilier, voiture, scolarité des enfants, avec tous les flux de trésorerie futurs nécessaires… L’outil vérifie alors les probabilités de réalisation. Alors, pourquoi se contenter d’imaginer ? Les données sont là, le régulateur a défini les méthodes à appliquer et elles sont déjà utilisées pour répondre aux réglementations. Ajoutons que le régulateur précise, en ce qui concerne PRIIPs, qu’il souhaite voir émerger de vrais outils de comparaison en ligne. Les pouvoirs publics hexagonaux souhaitent, de leur côté, le développement d’une épargne de long terme pour progressivement compléter un système par répartition subissant de plein fouet les effets démographiques. La moitié du chemin est faite, terminons la traversée du gué et arrêtons le discours traditionnel d’immobilisme. Les Français ne sont peut-être pas les meilleurs en compétence financière, mais le digital – bien conçu et bien réalisé – a ceci de magique que tout le monde peut l’utiliser et « apprendre ».
Une vraie transformation, de vraies fintech
Il faut utiliser les ressources déjà présentes, et en particulier déjà « payées » par la mise en place de réglementations de plus en plus strictes, mais surtout précises. Utilisons le contenu des OPC, les simulations de performances, le détail des frais… Et pour tout cela, misons sur des fintechs, que celles-ci soient intégrées à de grands groupes ou indépendantes. Ces équipes sont habituées à manipuler de grandes quantités de données et sont capables de concevoir les systèmes permettant de traiter cette masse d’information considérable. De quoi transformer une contrainte en de véritables opportunités.